PRESIDENT BILINGUE
Cela faisait longtemps que la France n'avait pas eu de président bilingue. C'était peut-être même le premier à l'être vraiment. Ainsi il n'avait pas besoin d'interprète quand il se rendait dans les sommets internationaux ou quand il recevait des chefs d'état étrangers.
Il faut dire qu'en additionnant les pays francophones et anglophones, on couvre déjà une bonne partie de la planète. Ajoutons-y les personnalités de pays tiers, par exemple celles de l'Europe du nord, qui ne conçoivent pas de faire de la politique sans parler couramment anglais, il ne lui restait plus guère d'occasions de recourir à un interprète.
On se serait attendus à ce que le président bilingue favorisât les écoles bilingues de son pays, par exemple Diwan en Bretagne ou les Ikastolas au Pays Basque mais non. Au contraire son ministre de l'éducation faisait de son mieux pour leur mettre des bâtons dans les roues ainsi que dans celles des écoles publiques, placées directement sous son autorité, qui avaient eu la mauvaise idée d'ouvrir des classes bilingues. Des fois que quelques milliers d'enfants apprenant une langue régionale mettraient en danger la cohésion nationale !
On surnommait ce président "Jupiter", sans doute à cause de sa pratique verticale du pouvoir. Il aurait été plus judicieux de l'appeler "Janus", le dieu romain aux deux visages et par voie de conséquence, aux deux bouches et aux deux langues. L'une parlait français pour les affaires intérieures et l'autre anglais sur la scène internationale.
Le président Janus est resté célèbre pour son slogan "make our planet great again" qui répondait à celui du président américain de l'époque, resté lui aussi tristement célèbre, "make America great again".
Quand Greta Thunberg, qui n'était alors qu'une frêle adolescente préoccupée par l'avenir de la planète, est venue le voir à l'Elysée, il montra le visage ouvert de l'homme d'état prêt à s'engager à ses côtés . Quand son gouvernement fut condamné pour inaction face au réchauffement climatique, il montra le visage fermé de l'homme démasqué.
Alors que le président dénonçait les violences policières, notamment en Biélorussie, à Hong Kong ou aux USA, dans une langue, l'autre restait muette sur ces mêmes violences en France.
L'Histoire ne dit pas si le dieu Janus avait un cerveau différent derrière chacun de ses deux visages mais le président Janus lui, s'il n'en avait qu'un, ne prenait pas ses décisions sur un même sujet avec le même hémisphère de son cerveau. Ainsi après avoir eu la bonne idée de mettre fin au grand projet inutile de Notre Dame des Landes, il fit de son mieux pour empêcher l'émergence d'un type alternatif d'agriculture et d'habitat sur l'ancienne ZAD. Il fut atteint d'une confusion mentale du même genre à propos du triangle de Gonesse. Abandon du projet délirant de complexe commercial sur les meilleures terres agricoles d'Ile de France dans un premier temps pour mieux laisser place à une bétonisation rampante de la zone.
Avoir deux visages signifie aussi avoir deux paires d'yeux. Malgré cela le président Janus demeurait aveugle face à l'appauvrissement de la biodiversité, par contre il faisait les yeux doux aux chasseurs et aux partisans de l'agriculture intensive, en grande partie responsables de cet état de fait.
Surnommé le "président des riches" après qu'il eût décidé la suppression de l'impôt sur la fortune, le président Janus rétorquait que la richesse des premiers de cordée finirait par ruisseler sur les gens d'en bas. Ce qui a ruisselé sur les pauvres c'est d'abord la sueur qui dégoulinait de leur front et non les pépites d'or des riches qui avaient trouvé refuge dans les paradis fiscaux. Malgré ses deux nez, le président Janus ne pouvait s'en apercevoir tant il est vrai que l'argent n'a pas d'odeur.
Pour ce qui est de l'audition, il mobilisait ses quatre oreilles pour écouter les groupes de pression les plus puissants et pas seulement ceux de la chasse et de l'industrie agro-alimentaire. Il réservait sa troisième oreille au lobby automobile et la quatrième à celui du nucléaire. Il prétendait défendre les modes de transport alternatifs mais refusait de taxer les véhicules les plus lourds et les plus polluants comme les SUV. Il disait soutenir les énergies renouvelables mais favorisait en sous main le financement des méga centrales EPR qui avaient pourtant montré une sureté douteuse et une viabilité économique incertaine.
Sur beaucoup de sujets le président bilingue pratiquait le double langage ce qui le rendait quadrilingue et même quinqualingue si on ajoute la langue de bois, qu'il ne maitrisait pas aussi bien que les autres, il faut le reconnaitre.
Yann Ber
Qui se cache derrière les lobbies