LES SANS PAPIERS
Ils ont traversé la mer au péril de leur vie.
Combien sont-ils?
Nul ne le sait exactement. Certains parlent de 50.000, d'autres avancent des chiffres jusqu'à 10 fois supérieurs.
Combien se sont noyés en route dans l'indifférence générale?
On l'ignore, la mort de migrants n'intéresse pas grand monde mais quand on voit la fragilité de leurs embarcations, les victimes se comptent nécessairement par milliers.
Qui sont-ils?
Des hommes, des femmes et des enfants qui, fuyant la guerre dans leur pays, sont à la recherche d'un monde meilleur. Ce sont des anonymes pour la plupart mais on connait le nom de certains passeurs.
Comment sont-ils accueillis ?
Diversement. A bras ouverts par certains, avec méfiance par d'autres. Paradoxalement, ce sont souvent les descendants de migrants d'une vague précédente qui sont méfiants, voire hostiles, à leur égard. Les derniers arrivés, c'est bien connu, ferment la porte.
Quelle vie mènent-ils dans leur pays d'accueil?
Certains réussissent mieux que d'autres mais les épreuves qu'ils ont traversées leur ont forgé une volonté de fer. Voici l'histoire d'un chef de village qui se fait passeur pour emmener tout son monde de l'autre côté de la mer.
Pendant des semaines les villageois ont tenu tête aux envahisseurs venus de l'est mais moins bien armés et surtout moins nombreux, ils ont dû reculer. Ils avaient le choix entre se replier dans les montagnes pour continuer le combat ou prendre la mer. Ayant déjà perdu beaucoup d'hommes dans les combats, le chef a opté pour l'exil afin d'assurer la survie de sa communauté, hommes, femmes et enfants.
Parvenu sur la côte, il achète des barques à des pêcheurs mais elles sont trop légères pour affronter la haute mer. Il faut les lester avec des pierres qui serviront aussi à caler le mât. Il ne reste plus qu'à attendre les vents favorables et implorer la protection divine.
En tant que chrétiens ils sont assez bien accueillis dans leur nouveau pays mais ils restent migrants dans une région côtière où il y en a déjà beaucoup et où il leur sera difficile de se faire une place. Ils décident donc de se diriger vers la forêt de Brocéliandre pour se mettre sous la protection de Lancelot.
Ils fondent un village qu'ils nomment Ploërmel, littéralement " la paroisse d'Armel" en l'honneur de leur chef qui les a si bien accompagnés sur le chemin de l'exil.
Cette histoire s'applique aussi aux 7 saints fondateurs de la Bretagne chrétienne que sont Pol, Samson, Tugdual, Corentin, Brieuc, Pattern et Malo. Ils auraient traversé la Manche dans des vaisseaux de pierre pour créer des évêchés qui portent leur nom pour 3 d'entre eux. Si leur existence est avérée, leur vie a été magnifiée par la tradition populaire tout comme celle des 800 autres saints bretons dont certains sont encore honorés aujourd'hui. Mais aucun d'entre eux n'a été reconnu par le Vatican. Ce sont donc des saints sans papiers. Le seul à avoir été canonisé est saint Yves, le patron des avocats. Il faut dire qu'étant avocat lui-même, il ne pouvait se permettre de vivre sans papiers.
Comment la polémique est-elle née?
Nul ne le sait. Toujours est-il que 15 siècles après la migration des Grands Bretons vers la Petite Bretagne, le monde politique s'empare de l'affaire. Après les remous autour de la question de l'identité nationale et de la déchéance de la nationalité, il fallait bien trouver quelque chose pour faire oublier l'inaction du gouvernement en matières sociale et environnementale.
Un projet de loi prévoit de débaptiser les villes incluant le nom d'un saint sans papiers. Après tout Saint-Pétersbourg s'est bien nommée Leningrad pendant longtemps alors pourquoi ne pas faire de même avec Saint-Pol de Léon, Saint-Brieuc ou Saint-Malo? De nouveaux noms circulent déjà : Saint-Emmanuel de Léon, La Ville-En-Marche, Corsaire sur Mer ou Napoléon-ville. Pour cette dernière, il n'a pas fallu chercher longtemps car c'est ainsi que l'on surnomme Pontivy, c'est à dire le pont de Saint Ivy qui est aussi un saint sans papiers.
Finalement le projet n'a pas abouti car il aurait fallu débaptiser la moitié des villes et villages de Basse Bretagne, ce qui aurait été compliqué et qui risquait de heurter la population locale. A la place le gouvernement décide de renvoyer dans leur pays d'origine les statues géantes des 7 saints fondateurs,plus celle d'Armel, qui se dressent sur les hauteurs de Carnoët, drôle d'endroit pour y placer une vallée. Trop lourdes pour être expulsées par avion, la Marine Nationale fait construire un vaisseau de bois pour recevoir les sculptures qui devront ainsi faire le chemin inverse des saints sans papiers, en espérant que les Angles les laissent entrer, maintenant qu'ils sont sortis de l'Union Européenne.
Yann-Ber