LA REPUBLIQUE EN DANGER
- Ah ! c'est toi le petit Fañch qui a fait trembler la République.
Combien de fois Fañch a-t-il entendu cette exclamation durant son enfance quand il suivait ses parents dans les fest-noz? Combien de fois a-t-il entendu ses parents expliquer à qui voulait les écouter que la bataille avait été rude pour faire admettre le tilde à l'Etat Civil français? Il faut dire que l'affaire a un côté ubuesque, comme le raconte Wikipédia :
"L'affaire Fañch est une affaire judiciaire opposant de 2017 à 2019 un couple de Quimpérois à l'État français au sujet de l'enregistrement officiel du prénom traditionnel breton Fañch...
En 2017, les parents se voient refuser l'enregistrement du tilde au ñ du prénom de leur nouveau-né qu’ils souhaitent prénommer Fañch, « ñ » ne faisant pas partie des lettres accompagnées d’un signe diacritique ou des ligatures connues de la langue française selon une circulaire ministérielle du 23 juillet 2014. Les parents considèrent que ce refus va à l'encontre du Code civil, qui dispose que « les prénoms de l'enfant sont choisis par ses père et mère » (article 57, alinéa 2) et intentent un procès à l'État dans le but de contraindre le service de l'état civil de Quimper à enregistrer le prénom de leur enfant avec l'orthographe Fañch (avec tilde) et non Fanch (sans tilde).
Après un premier jugement défavorable du tribunal de grande instance de Quimper, la cour d'appel de Rennes valide par un arrêt du 19 novembre 2018 l'utilisation du tilde sur le prénom Fañch avec signe diacritique au motif qu'il ne porte pas atteinte au principe de rédaction des actes publics en français ni à l'article 2 de la constitution. Le , la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par le procureur général en raison d’une erreur de procédure, et autorise donc définitivement l’enfant à garder le tilde sur son prénom."
Le représentant de l'Etat avait eu beau invoquer la loi du 2 thermidor an II () sur la défense de la langue française, il n'avait pas obtenu gain de cause. Pour un peu il aurait fait appel aux Sans-Culottes pour défendre la République, mais Rennes n'est pas Valmy.
A dire vrai, Fañch en avait un peu marre de passer pour un héros de la cause bretonne. Adolescent, il cessa de fréquenter les fest-noz puis exigea qu'on l'appelle François, au grand dam de ses parents qui se rassuraient en pensant que cette crise passerait avec l'âge.
A sa majorité cependant il n'avait pas changé d'avis, au contraire. Il entreprit une démarche auprès de l'officier d'état civil pour franciser son prénom, demande aussitôt rejetée car cette procédure est réservée aux personnes demandant la nationalité française. Il demanda alors à changer de prénom. Nouveau refus car dans ce cas il faut que la demande soit motivée par un intérêt légitime. Il dut porter l'affaire devant le tribunal des affaires sociales pour finalement obtenir gain de cause au bout de 2 ans.
Fañch, devenu François, se lança alors dans le militantisme vert. Lassé d'entendre les beaux discours des politiques sur le réchauffement climatique qu'il fallait à tout prix limiter, sans pour autant prendre les mesures nécessaires pour ce faire, il rejoignit un mouvement écologiste radical connu pour ses actions commando contre les plus gros émetteurs de CO2.
Avec le temps cependant François s'assagit et adhéra au Parti Vert. Rapidement il devint maire d'une petite ville puis président de région et se prit alors à rêver de l'Elysée. Après tout, son nouveau prénom était de bon augure pour accéder à la mandature suprême.
François consacra son quinquennat à mettre en place une politique écologique que ses prédécesseurs avaient promise sans jamais la réaliser. Ses réformes environnementales ne rencontrèrent qu'une faible opposition tant elles étaient devenues indispensables. " L'utopie ou la mort" proclamait René Dumont 75 ans auparavant et pour éviter la seconde il fallait mettre en oeuvre la première.
Le Président François eut beaucoup plus de difficulté à faire accepter une autre réforme qui peut sembler anodine à côté, celle de l'orthographe. Il faut dire que le comité de citoyens qui avait élaboré le projet de réforme n'y était pas allé de main morte. Il s'agissait ni plus ni moins de faire du français une langue phonétique. A chaque lettre ou groupe de lettres devait correspondre un son et vice versa. Ainsi le son "fe" serait dorénavant seulement représenté par la lettre "f", "téléphone" deviendrait "téléfone" et "pharmacienne" "farmacienne" . De même le son "ke" serait rendu seulement par un "k", "quintal" muterait en "kintal" et "crabe" en "krabe". Le son "se" serait uniquement transcrit par "s" ce qui fait que "François" s'écrirait "Fransois" etc.
Une telle réforme visant à extirper les fossiles de la langue avait été menée dans toute l'Europe du nord un siècle et demi plus tôt sans faire de vagues. En France, le simple fait de l'envisager provoqua un tsunami. Des bancs de l'Académie Française à ceux du Parlement montèrent des clameurs réclamant la démission d'un président qui mettait en danger la langue française et donc la République elle-même puisque l'article 2 de la constitution stipule que le français est la langue de la République.
François ne démissionna pas pour autant mais cette réforme avortée l'empêcha de se représenter. Après qu'il eût remis les clés de l'Elysée à son successeur il retourna dans son Finistère natal et, déçu de ce que son prénom ne puisse pas s'orthographier "Fransois", il entreprit une démarche auprès de l'officier d'état civil pour le bretonniser, ce qui revenait de fait à reprendre l'ancien.
Après saisine du procureur, sa demande fut acceptée sous réserve que Fanch, comme il s'appelait de nouveau, renonce au tilde sur le "n" afin de ne pas mettre la République en danger.
Yann-Ber