NOUVELLES NATURE et AUTRES BREVES

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m4 LA FABRIQUE D'ARBRES MORTS

Il était une fois une forêt qui produisait des arbres morts. Elle ne le faisait pas exprès, c'était juste sa façon de se régénérer. Quand un arbre arrivait en fin de vie, il se desséchait. Son tronc creux servait de refuge aux oiseaux cavernicoles comme la mésange, la bergeronnette ou le pivert ainsi qu'à des batraciens et à une multitude d'insectes, un trésor pour le maintien de la biodiversité. Puis, miné par des champignons à qui ça profite, il s'affalait de tout son long et pourrissait petit à petit pour se décomposer en un humus fertile qui servait de berceau à une jeune pousse. Ce cycle paradisiaque aurait pu continuer encore longtemps si des bulldozers d'enfer n'étaient pas arrivés pour faire place nette au maïs.

 

Les premières années, les céréales tirèrent profit de la matière organique accumulée dans le sol mais ensuite il fallut apporter des engrais azotés en grande quantité pour maintenir les rendements. Le puits de carbone que constituait la forêt s'était transformé en gisement de CO2.

 

Avec le recul, Gustave regrette d'avoir défriché un bout de cette forêt pour agrandir la ferme que lui avaient léguée ses parents. A l'époque, c'était une question de survie pensait-il. On ne pouvait plus gagner sa vie avec un troupeau de vingt vaches. Il en fallait deux ou trois fois plus et, bien sûr, agrandir les pâtures dans les mêmes proportions.

 

 

Gustave n'est pas devenu riche pour autant. Une fois payées les charges diverses et variées de son exploitation agricole, il ne lui restait pas grand chose à la fin de chacune de ses quarante années de  vie active. Dans ces conditions, peut-on lui en vouloir d'avoir cédé les terres qu'il avait gagnées sur la forêt au plus offrant lorsqu'il a pris sa retraite? Il se trouve que l'offre la plus alléchante venait d'une grosse société spécialisée dans la production de sapins de noël.

 

Toujours est-il que l'ancienne fabrique d'arbres morts retrouve des arbres mais pas ceux d'antan. Les nouveaux venus sont plantés au cordeau, désherbés chimiquement, aspergés d'insecticides, tout ça pour être abattus cinq ans plus tard et finir comme objets de décoration pendant quelques jours dans les rues des villes et à l'intérieur de certaines maisons. Après le passage des tronçonneuses, c'est au tour des cordeaux d'alignement de passer à l'action et c'est parti pour un nouveau quinquennat d'arbres zombies.

 

Alors que l'ancienne forêt mettait plusieurs siècles pour fabriquer des arbres morts, la plantation le fait en cent fois moins de temps et les défunts ne peuvent même pas se consoler en offrant un refuge à la faune sauvage ou de l'humus au sol qui les a vu grandir.

 

Un soir de novembre, alors que Gustave avait entendu tout l'après-midi le vacarme des guillotines forestières, il se rend sur ses anciennes parcelles pour constater les dégâts. Presque tous les jeunes sapins sont au sol dans l'attente d'être empaquetés et transportés vers leurs différents lieux de vente. Seules deux rangées sont encore debout, des arbres enfant qui attendent leur funeste sort dans le couloir de la mort. Ce spectacle lui fend le cœur. En tant que paysan, il considère que la terre doit servir à nourrir les Hommes et non à fabriquer des arbres morts.

 

Gustave revient chez lui, s'arme d'une bêche et d'une pioche et retourne sur le lieu du massacre. Il choisit un arbre au hasard parmi les survivants, ce qui revient à dire qu'il ne choisit pas mais qu'il prend le premier venu. De toute façon, ils sont tous pareils, même variété, même taille, même envergure, comme il se doit pour une production industrielle. Il creuse une tranchée d'un fer de bêche autour de l'heureux élu, passe la pioche sous ses racines et se sert du manche comme levier.

Le sapin n'oppose pas de résistance, sentant peut-être que cette pioche est sa planche de salut.

 

Lorsque cent ans plus tard le sapin termine sa croissance au milieu de ce qui fut le jardin de Gustave, cela fait longtemps que son maitre n'est plus de ce monde. Il parait qu'il a demandé à être enterré au pied de son arbre, c'est du moins ce que racontent les gens du pays mais on ne peut pas savoir si son vœux a été exaucé car personne n'a jamais trouvé trace de la moindre tombe.

 

Quant aux terres autrefois défrichées par le paysan courageux, elles ont retrouvé leur vocation première. Les sapins de noël n'étant plus en vogue, leur culture a été abandonnée. La friche a repris le dessus, bientôt remplacée par des feuillus. Des chênes rouvres, des fayards, des bouleaux blancs. Ces derniers, du fait de leur courte durée de vie, fournissent de l'humus en deux ou trois décennies aux arbres bientôt centenaires qui les entourent.

 

La forêt se remet doucement à fabriquer des arbres morts...

 

Yann-Ber

 

 https://reporterre.net/En-Bretagne-des-sapins-de-Noel-remplacent-des-paysans

 

 

 



31/01/2022
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